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Flo Wer, une MOOCqueuse qui est aussi historienne, nous partage ses réflexions, remarques et conseils concernant la création de romans historiques. Les voici.

J'ai vu passer des questions sur le roman historique et j'avoue en lire beaucoup et qu'un roman historique a été l'objet d'un mémoire. Donc, je vous fait part de mes réflexions sur le sujet en tant que grande lectrice mais aussi d'historienne (ben oui, il paraît que je le suis! mais bon...)

Remarques sur les romans historiques ou situés dans le passé[]

a- Les résultats de recherches historiques évoluent au fil des découvertes et des questionnements des historiens. Ainsi, dans les années 50, le nazi était vu comme un monstre psychopathe, un point c'est tout. Il avait donc une ou plusieurs tares qui le rendaient monstrueux et le contexte lui a permis de tuer et massacrer, mais dans un autre contexte, il aurait fini peut-être par devenir un tueur en série. Depuis, les historiens pensent que des gens "normaux" ont adhéré et franchi la barrière du meurtre du fait d'un contexte très particulier. Les nazis ne sont plus tous des monstres.

Donc, si vous voulez que votre roman soit un brin pertinent, il faut vous renseigner sur l'état de la recherche sur votre sujet : historiographie et voir comment elle a évolué au fil du temps.

b- Si votre roman se situe dans un contexte historique donné mais évoque juste des événements lointains ou une manière de vivre, par exemple, la vie d'un nobliau de province à l'époque de la Révolution française. Vous n'avez pas besoin de connaître intégralement tout sur la RF, mais sur le mode de vie de ces nobles et de leur entourage (paysans...). Il vaut donc mieux chercher des costumes, des descriptions de lieux, des renseignements sur l'église, sa place dans la société, afin de faire vivre vos personnages dans cette époque. Les grands événements peuvent alors juste être évoqués s'ils ont une incidence sur le monde du personnage.

c- Si vous choisissez un personnage historique, évitez les grands personnages sur lesquels beaucoup de recherches sont parues. Il est bien plu facile de faire évoluer un personnage qui gravite dans l'orbite d'un grand personnage. Je sais que certains sont capables de faire mieux que ça, mais c'est très difficile car la tentation est grande de modifier le cours historique et donc vous risquez de perdre certains lecteurs.

d- Modifier l'histoire pour la faire coller à votre scénario vous fait courir le même risque. C'est dommage! Mieux vaut alors choisir une période floue de l'Histoire. Une période sur laquelle on ne sait finalement pas grand chose ou sur laquelle les historiens ne sont pas d'accord.

e- Un roman historique réussi est celui qui fait voyager le lecteur dans le temps. Bossez le contexte et le lieu. La géographie, l'architecture, l'urbanisme, le droit de l'époque, les coutumes... ont leur importance. De même, la religion était omniprésente avec un calendrier très prenant jusqu'à récemment. Jusqu'au XXème siècle (et encore), il est quasiment impensable de ne pas évoquer la religion (quoiqu'en pense votre personnage par ailleurs, il doit vivre avec).

f- Attachez vous aux détails. Non, on ne mangeait pas de la viande à tous les repas au XVIème siècle quand on faisait partie du peuple. On évite aussi les anachronismes. Exemple : Internet n'était pas omniprésent en 1995.

Les recherches[]

Elles varient donc selon vos besoins : personnages, contexte... mais, si vous n'êtes pas habitués aux recherches historiques, ce n'est pas grave.

a- Wikipédia est votre ami : beaucoup d'articles ont été rédigés par des historiens ou leurs étudiants. Ils sont donc relativement fiables et utiles. De plus, les auteurs citent leurs sources et ça vous donne des pistes de recherche fiables aussi. Idem pour les recherches sur le climat ou des descriptions de lieux.

b- Pour les lieux, essayez de trouver des cartes de l'époque. Ainsi, vous vous ferez une image du lieu où se situe l'intrigue. Par exemple, on parle beaucoup des cités et des villages dans l'Antiquité, mais la forêt est omniprésente et elle est peu évoquée car il n'y a quasiment personne et qu'elle fait peur. Pour les 20 dernières années, GoogleEarth vous donne la possibilité de voir dans le passé (clichés anciens), vous pouvez donc voir des évolutions (villes qui grandissent, forêts qui reculent...).

c- Pour l'architecture et les vêtements, il existe de nombreuses photos ou images plus ou moins de reconstitution selon les époques sur Internet mais aussi dans les musées ou sur des ouvrages spécialisés. Garder ses images à portée de main permet de s'immerger dans l'époque.

d- Pour les grands événements et les personnages historiques, il vaut mieux consulter (après Wikipédia) des ouvrages anciens et récents. Cela permet de se forger un point de vue plus neutre. Si je prends l'exemple des biographies historiques, certains personnages ont vu leur aura singulièrement changer. Ainsi, Catherine de Médicis aurait tout d'abord été une mère castratrice et l'instigatrice machiavélique de la St Barthélémy. Aujourd'hui, elle serait simplement une femme qui a voulu défendre le pouvoir du roi (son fils) dans un contexte d'hommes et de divergences religieuses. Elle aurait donc fait de son mieux avec les moyens du bord. Cela étant, elle n'était probablement pas tendre et elle a tout de même participé à ce massacre indirectement. Voir ces divers points de vue donne à l'auteur du roman des pistes pour faire évoluer son personnage et lui donne la latitude pour ça. De plus, en étant conscient de l'évolution historiographique, l'auteur peut éviter l'écueil de voir son roman vieillir ou être démodé. Pour cela, il suffit de nuancer le personnage, ce qui est rarement le cas dans une biographie historique où l'historien adopte un point de vue et veut le faire valoir.

e- Les sources : on peut vouloir faire des recherches dans les témoignages de l'époque. C'est une excellente idée si on sait à peu près où on met les pieds.

  1. Les gravures, dessins et peintures ne sont pas des photos mais le point de vue de leur créateur à un moment donné ou celui de son commanditaire. Il y a une vision derrière l'oeuvre et il faut connaître laquelle pour ne pas se tromper. Ex : la vie à la campagne, ce n'est pas une jolie bergère aux joues rouges et à la robe dotée de rubans colorés...
  2. Les photos n'ont pas toujours eu le même usage qu'aujourd'hui avec le numérique et les réseaux. Au début, au XIXè et XXè siècles, les photos nécessitent encore des temps de pose et coûtent cher (pour certains). Pour éviter les erreurs, les ratés, les photos sont construites (on fait poser les gens dans une attitude ou un costume, dans un lieu déterminé). Il y a donc un objectif que nous ne connaissons pas forcément mais la photo peut nous induire en erreur. Ainsi, ce n'est pas parce qu'il y a des photos de famille que la famille est unie et aimante. Ce n'est pas parce qu'on photographie des ouvriers que c'était une pratique courante... Aujourd'hui, les photos sont plus fréquemment utilisées, mais elles sont retouchées et filtrées. Elles sont aussi présentées sur un support qui n'est pas anodin. Il y a donc aussi une volonté à découvrir.
  3. Les écrits piègent tout autant : les témoignages (journaux intimes, dépôts de plainte, mémoires, biographies sur un personnage existant à l'époque....) montrent une idée de ce que veut dire l'auteur, pas la réalité. Exemple : les survivants des camps de la mort ont relativement peu témoigné à leur retour car ce qu'ils ont vécu est indescriptible objectivement. De plus, il est dur de vivre avec le syndrome du survivant, tout comme il est difficile d'admettre et de dire que pour survivre, on a certainement dû faire des choses terribles (voler de la nourriture à un autre, se prostituer, tuer directement....) car cela reviendrait à se montrer sous un jour aussi peu glorieux que les nazis alors qu'à la base c'est une victime qui parle. Les discours cachent un contexte politique et l'objectif du rédacteur. Certains discours passent pour anodins, lus hors contexte, mais ils ont été décisifs (parfois et aussi inversement). Bref, un texte ou un oral, c'est un contexte mais aussi une personne qui souhaite quelque chose. Mais il ne faut pas en faire une généralité. Ce n'est pas parce qu'un noble pouvait avoir une vision démocratique que tous l'avaient. Ce n'est pas parce que c'est écrit que c'est vrai!
  4. Le langage peut aussi piéger. On peut se dire qu'on va lire des ouvrages ou des textes en langue de l'époque (si on la connaît), mais, en fait, on fait une traduction avec nos mots à nous, dans notre langage. Idem si on passe par une traduction. De plus, il ne faut pas oublier que l'écriture a longtemps été réservée aux plus riches ou à quelques privilégiés. De ce fait, si on veut faire parler un paysan ou un esclave de l'Antiquité avec la verve de Cicéron, ça ne fonctionne pas. Même les rares personnes issues des classes inférieures qui ont appris à écrire adoptent un langage qui n'est pas celui de leur catégorie sociale d'origine. Ainsi un esclave noir qui raconte son parcours le fera avec des mots qu'il a acquis ultérieurement et avec ces mots, il a acquis aussi une autre vision de son passé. Enfin, ce n'est pas parce qu'un esclave a été bien traité et affranchi que tous l'ont été. Enfin, n'oublions pas que le français n'a pas toujours été la langue courante en France... les patois, le latin ont été couramment utilisés dans certains contextes. Les étrangers étaient aussi nombreux.
  5. Les objets : si un couteau est à coup sûr un objet du quotidien, la fourchette ne l'a pas été durant longtemps! L'objet existait mais son usage n'était pas forcément répandu. Internet existait, les ordinateurs aussi dans les années 80 mais combien de gens surfaient sur le Net?
  6. Le nombre de sources: il existe des sources qui sont nombreuses pour un thème donné à une époque. Exemple les plaintes pour crime contre des femmes à travers différentes époques. Leur nombre n'offre qu'une indication : les femmes sont moins souvent des criminelles reconnues que les hommes. Mais leurs crimes sont différents : sorcellerie, athéisme, infanticide, parricide... Mais il faut bien voir qu'on ne dispose pas de toutes les plaintes ayant été déposées au cours des âges et tous les crimes féminins n'ont pas été suivis de plaintes. Il ne faut donc pas affirmer quelque chose dont on n'est pas certain.

L'utilisation des données historiques dans le roman[]

a- Les dates ne sont pas obligatoires. On peut juste évoquer un événement sans le nommer précisément. Mais ces indications permettent de donner un fil au roman, surtout si la narration est éclatée.

b- Pour le contexte, de petites touches placées à intervalle régulier permettent d'immerger le lecteur. Ainsi, décrire un costume, évoquer les cloches de l'église qui sonnent une alerte, mentionner ce que mange un personnage, relater une cérémonie ou le paiement des impôts... sont de bons moyens pour ne pas tomber dans la thèse d'Histoire.

c- Utiliser un vocabulaire précis est également génial. Dans Fortune de France, Robert Merle adopte plein de mots et d'expressions de l'époque. Les dialogues deviennent savoureux! Dans "La mort est mon métier", le héros nazi a un langage concis, clair et dénué de sentiment. Robert Merle a repris le phrasé du commandant d'Auschwitz qui avait écrit ses mémoires. Le langage correspond donc à l'époque et au personnage.

d- Les lignées (de rois, de familles...) et les histoires de divers peuples peuvent faire l'objet de descriptions très longues (un peu comme les 100 premières pages du Seigneur des Anneaux avec les Hobbits). Mais ce n'est plus franchement le style de lecture que les lecteurs aiment aujourd'hui, je pense. Idem pour les descriptions à la Jules Verne ou à la Zola. En revanche, il est possible de faire raconter le passage d'une légende ou d'une histoire de famille à un narrateur qui reprendre son récit plus loin. Ou bien, au lieu de mettre une citation en tête de chapitre, on peut évoquer un aspect d'une lignée, un autre aspect au chapitre suivant et ainsi de suite. En quelques lignes (3 à 5), il est possible d'évoquer les liens familiaux sans problème. C'est plus léger.

Voilà pour mes petites remarques en tant que grande amatrice de romans historiques. Je n'ai évidemment pas prétention à vous dire comment écrire mais le point de vue d'une lectrice peut être utile. Pour les astuces d'écriture, il en existe d'autres certainement. Mais le meilleur moyen est de lire des BD ou des romans sur l'époque qui vous intéresse. J'espère avoir pu aider un peu.